Exposition collective à la Galerie de la SCEP à Marseille,
du 05 novembre 2022 au 14 janvier 2023
Avec Chloé Chéronnet, Laurane Fahrni
L’exposition “Terrains fantômes” propose un parcours parmi des œuvres principalement en trois dimensions qui portent en elles des souvenirs et des cicatrices de bâtiments détériorés, de sinistres domestiques et d’histoires d’accidents mortels. Le danger et la toxicité du goudron, des éclats de verre et de l’amiante sont autant d’indications sur la sensibilité de chacune des trois artistes présentées. Le goudron est pour Chloé Chéronnet comme une projection de la situation dans laquelle nous sommes. Par son aspect visqueux et son lien étroit avec l’automobile, il serait le piège industriel dans lequel nous sommes empêtrés, tels des oiseaux pris dans une marée noire. Les éclats de verre que l’on retrouve dans le travail de Laurane Gourdon-Fahrni, parmi d’autres matériaux liés à des restes architecturaux, sont des objets ayant été traversés par des flux énergétiques (air, électricité, eau). Ils se présentent comme des témoignages de vestiges liés à des moments autobiographiques ou de balades. L’amiante, les revêtements et les moulages du travail de Émilie Rossi sont des photographies tangibles d’une usine désaffectée aujourd’hui devenue son atelier. Elle révèle la mémoire de cet espace où les dangers viennent à la fois de l’intérieur et du temps passé (amiante dans les revêtements du sol) mais aussi de l’extérieur (bail précaire de son atelier dont le rachat par des investisseurs immobiliers pourrait être imminent). Les différentes vitres, verres et plexiglass acquièrent différents statuts, de la vitrine transparente et protectrice qui met une barrière entre un objet et son regardeur, à l’objet tranchant qui crée une découpe dans son espace avoisinant. Dans tous les cas, leurs tranches sont exploitées dans un désir de révélation et d’activation de cet espace environnant. Le plexiglass utilisés par Chloé Chéronnet révèle la puissance du goudron et lui permet d’adhérer correctement à un support, nous sommes confrontés alors aussi confrontés à l’envers de sa manipulation et il devient comme une sorte d’encre pour fabriquer ses images tirées des films Giant (George Stevens, 1956) ou Crash (David Cronenberg, 1996). Ces storyboards agrandis sont des pauses sur la narration de ces deux films où la voiture, l’accident, le pétrole sont autant de marqueurs d’une société de consommation qui cavale derrière des rêves technologiques. Ces rêves fabriquent au passage une dépendance énergétique qui nous amène à la voiture brûlée non plus par l’accident de la route, mais bien par l’évènement satellite à une manifestation liée justement à l’augmentation du prix de ces flux de pétrole. Les allers-retours entre l’échantillon et sa recomposition montrent à quel point les trois artistes incluent dans leur procédés artistiques l’analyse de leur proximité. Dans les œuvres de Laurane Gourdon-Fahrni et Émilie Rossi on retrouve une attitude presque journalistique ou historicienne de conservation urgente d’un patrimoine. Qu’ils soient familiaux ou personnels , ou bien culturels et industriels, ces patrimoines de leur quotidien se retrouvent sous formes de fragments qui deviennent eux-même matière première. Les trois artistes ont, il me semble, développé avec leurs matériaux un rapport de trésor, dans le sens où ce qu’elles convoquent ou mettent en jeu relève d’une préciosité subjective qu’il leur faut à tout prix conserver et préserver. À l’inverse du trésor cependant, ici elles nous les partagent et nous les donnent à voir. Alors ils ne sont plus uniquement des fantômes.
Texte de Diego Bustamante 2022
Photographies de Nassimo Berthommé









